Les protestations du maître de l'ouvrage à l'encontre de la qualité des travaux, en dépit du paiement de la facture, excluent toute réception tacite de l'ouvrage au sens de l'article 1792-6 du code civil.

Auteur : Benjamin Beauverger
Publié le : 11/04/2016 11 avril avr. 04 2016

Selon les dispositions de l'article 1792-6 du Code civil :

"La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

La garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.

Les délais nécessaires à l'exécution des travaux de réparation sont fixés d'un commun accord par le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur concerné.

En l'absence d'un tel accord ou en cas d'inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l'entrepreneur défaillant.

L'exécution des travaux exigés au titre de la garantie de parfait achèvement est constatée d'un commun accord, ou, à défaut, judiciairement.

La garantie ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usure normale ou de l'usage
".

Les principaux effets de la réception de l'ouvrage sont les suivants :

1 – Elle fait courir les délais de garanties légales (garantie de parfait achèvement, garantie de bon fonctionnement et garantie décennale).

2 – Elle fait courir le délai d'une année durant lequel le maître de l'ouvrage peut procéder à une retenue de garantie des sommes dues aux locateurs d'ouvrage.

3 – Elle emporte le transfert de la garde de l'ouvrage de l'entrepreneur vers le maître de l'ouvrage. En effet, avant la réception, l'entrepreneur a la garde du chantier et doit donc répondre des éventuels désordres dont il peut être à l'origine.

4 – Si la réception n'est assortie d'aucune réserve le maître de l'ouvrage est réputé avoir accepté le travail accompli, ce qui a pour conséquence qu'il renonce à engager la responsabilité de l'entrepreneur pour les malfaçons ou non-conformités visibles à la réception. La réception sans réserve purge donc l'ouvrage des désordres apparents.

5 – Si la réception est assortie de réserves, les travaux doivent être repris dans le cadre de la garantie de parfait achèvement.

Ainsi, l'établissement de la date de réception de l'ouvrage revêt un caractère primordial lors de l'engagement d'un recours contentieux.

Toutefois, la réception tacite d'un ouvrage peut-elle être prononcée en cas de protestations répétées du maître de l'ouvrage à l'encontre de la qualité des travaux, et ce malgré le paiement de l'intégralité du prix ?

La Cour de cassation a tranché cette question par un arrêt du 24 mars 2016.

Les faits de l'espèce étaient les suivants :

Les consorts R. ont confié des travaux d'assainissement à la société V., assurée pour sa responsabilité décennale auprès de la société G.

Soutenant que les travaux étaient défaillants, ils ont assigné la société V. et son assureur en indemnisation de leur préjudice.

En cause d'appel, les juges du fond ont écarté toute réception tacite de l'ouvrage et, de ce fait, estimé que  la société G., assureur décennal de la société V., n'était pas tenue de garantir les désordres litigieux.

En effet, selon la Cour d'appel de Paris :

"Considérant que les époux R. expliquent eux mêmes qu'ils ont toujours protesté contre les travaux, faits des réclamations au constructeur et qu'il n'ont jamais obtenu satisfaction, ce que confirment les courriers très clairs produits aux débats (...) qu'il n'est pas possible de considérer qu'il existe une réception tacite, compte-tenu des contestations des époux R." (CA Paris, Pôle 4, 5ème ch., 14 janvier 2015, n° 12/13114).

Les consorts R. ont formé un pourvoi en cassation, à l'appui duquel ils soutenaient qu'il y avait bien eu une réception tacite de l'ouvrage, notamment par le paiement intégral du prix des travaux, ce qui caractérisait leur volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage.

Tel n'a pas été l'avis de la Haute juridiction qui a confirmé le raisonnement de la Cour d'appel :

"attendu qu'ayant relevé que M. et Mme X... avaient toujours protesté à l'encontre de la qualité des travaux, la cour d'appel, qui a pu retenir que, malgré le paiement de la facture, leurs contestations excluaient toute réception tacite des travaux, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision" (Cass. civ. 3, 24 mars 2016, n° 15-14.830).

Ainsi, en plus de la prise de possession de l'ouvrage et de son paiement, un troisième critère d'appréciation de l'existence de la réception tacite semble se dessiner : celui de l'attitude du maître de l'ouvrage.

Historique

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