Le Conseil d’Etat précise la procédure administrative et le régime contentieux du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale

Auteur : Ismaël TOUMI
Publié le : 24/01/2017 24 janvier janv. 01 2017

Par un avis très attendu du 23 décembre 2016 (n°398077), le Conseil d'Etat a livré des éclaircissements sur la procédure de délivrance des permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite "loi Pinel".

Saisis d'une demande d'avis par la Cour administrative d'appel de Nancy rencontrant des difficultés à trancher un cas bien particulier, les juges du Palais-Royal ont évoqué les conditions de recevabilité des recours formés contre ce nouveau type d'autorisation intégrée.
 
Conditions de délivrance du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale

Les projets de création ou d'extension de surfaces de vente de magasins de commerce de détail mentionnés à l'article L.752-1 du code de commerce sont, en vertu de ce même article, soumis à une autorisation d'exploitation commerciale.

Lorsqu'un permis de construire est nécessaire, la loi Pinel a supprimé la décision spécifique par laquelle la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) ou, le cas échéant, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), délivrait cette autorisation après contrôle.

Désormais, si le projet est soumis à permis de construire, la CDAC ou la CNAC se prononcent par un avis transmis à l'autorité compétente pour délivrer le permis. Puis c'est ce permis qui tient lieu de l'autorisation d'exploitation commerciale, sous réserve que l'avis émis par la commission soit favorable.

L'avis rendu par la CDAC peut, dans le délai d'un mois, faire l'objet d'un recours devant la CNAC. Ce recours peut émaner notamment d'un concurrent, mais la CNAC peut également s'auto-saisir d'un avis rendu par une CDAC.

Statuant dans ces conditions, la CNAC peut rendre un avis contraire exprès.
Si l'avis rendu initialement par la CDAC est favorable, la CNAC, saisie d'un recours, dispose d'un délai de quatre mois pour se prononcer. A l'expiration de ce délai, si elle n'a pas rendu d'avis contraire exprès, elle est réputée avoir confirmé l'avis de la CDAC.

Concrètement, le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ne peut donc être délivré que si, au terme de la procédure ci-dessus résumée, l'avis transmis aux services instructeurs est favorable. Les dits services instructeurs procèdent par ailleurs bien entendu à l'instruction de la demande de permis au regard des règles de l'urbanisme.
 
Conditions de recours contre le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale : une recevabilité sélective des conclusions selon le statut du requérant

Une fois le permis délivré, il peut être contesté, d'une part, par toute personne y ayant intérêt en application des dispositions classiques de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, mais de plus, par les professionnels visés à l'article L. 752-17 du code de commerce, dont l'activité est susceptible d'être affectée par le projet. C'est-à-dire par des commerçants concurrents exerçant dans la zone de chalandise.

Lorsque le recours est ainsi formé par un commerçant concurrent, et guidé par des considérations de nature commerciale, l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme dispose que le requérant ne peut critiquer le permis devant le juge administratif qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont alors irrecevables à l'appui de telles conclusions.

Réciproquement, le même article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme dispose que l'auteur d'un recours "classique" contre le permis de construire (voisin, association...) ne peut former de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire.
 
Ceci étant rappelé au titre de l'état du droit, le Conseil d'Etat livre son analyse sur les questions qui lui étaient spécifiquement posées par la cour administrative d'appel de Nancy.
 
Sur la légalité du permis délivré dans le délai d'un mois suivant l'avis de la CDAC

Comme indiqué plus haut, la commission départementale (CDAC) rend un avis initial, qui peut, le cas échéant, être contesté devant la commission nationale (CNAC), dans le délai d'un mois.
Au cas où un recours est formé dans ce délai, la CNAC en informe les services instructeurs sous sept jours francs (art. R. 752-32 du code de commerce).

Cette information confère à l'autorité compétente pour délivrer le permis un délai d'instruction prolongé de cinq mois (article R. 423-36-1 du code de l'urbanisme), et lui impose donc d'attendre l'intervention de l'avis, exprès ou tacite, de la commission nationale pour rendre sa décision. Le Conseil d'Etat estime qu'à défaut, le permis éventuellement délivré avant l'intervention de cet avis serait illégal.

Or, dans le cas précis examiné par le Conseil d'Etat, l'administration avait délivré le permis de construire litigieux dans le délai d'un mois suivant l'avis de la CDAC, et donc avant de se voir notifier l'information de l'article R. 752-32 susmentionné.

Le Conseil d'Etat considère qu'un permis de construire délivré dans cet intervalle "ne se trouverait pas entaché d'illégalité de ce seul fait."

Toutefois, il poursuite en énonçant que "L'insécurité qui résulterait de ce que sa légalité pourrait être mise ultérieurement en cause à raison d'un avis négatif de la commission nationale, que celle-ci soit saisie d'un recours ou qu'elle s'autosaisisse, conduit toutefois à recommander à l'administration d'éviter de délivrer le permis avant l'expiration de ces délais."

Il n'y a donc pas ipso facto d'illégalité à ce que l'administration délivre un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur la foi d'un avis favorable non définitif, dès lors qu'elle n'a pas été rendue destinataire du courrier d'information prévu à l'article L. 752-32 du code de commerce.
Cette solution peut paraître empreinte d'un surprenant pragmatisme. Nous verrons toutefois dans les développements suivants que l'intervention d'un avis de la CNAC, même après l'expiration du délai classique de deux mois résultant de l'affichage du permis de construire sur le terrain, rouvrira le délai de recours contre ledit permis.

La légalité en sera donc préservée, sans qu'une atteinte excessive en soit portée à la sécurité juridique, dans la mesure où l'article R.752 32 du code de commerce impose à l'auteur d'un éventuel recours devant la CNAC d'en avertir le demandeur de l'autorisation délivrée. Le risque que ce dernier initie des travaux sans savoir qu'un recours vise son autorisation est donc en principe exclu.
 
Sur le délai de recours émanant des commerçants concurrents contre le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale

Sur ce point, le Conseil d'Etat établit tout d'abord que les commerçants concurrents sont soumis, en tant que tiers, au délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme, courant à compter de l'affichage régulier, sur le terrain d'assiette du projet, de l'autorisation d'urbanisme délivrée.

Il rappelle en second lieu que les commerçants concurrents sont tenus, à titre de préalable obligatoire et donc à peine d'irrecevabilité, de saisir la CNAC avant tout recours contentieux contre le permis de construire.

Précision est ici faite que cette saisine préalable de la CNAC n'a pas d'effet interruptif sur le délai de recours contentieux résultant de l'affichage du permis de construire. En revanche, comme nous l'introduisions dans les développements précédents, le Conseil d'Etat estime à ce stade que la publication de l'avis de la CNAC dans les formes de l'article R. 752-39 du code de commerce aboutit à la réouverture d'un délai de recours contentieux de deux mois (aux seuls requérants ayant la qualité de commerçants concurrents).

Il est notable que cette réouverture du délai de recours contentieux, qui n'apparaît pas dans les textes, semble relever de la pure création prétorienne du Conseil d'Etat.
 
Sur le formalisme de notification du recours au bénéficiaire du permis (art. R. 600-1 du code de l'urbanisme)

De façon logique, les juges du Palais-Royal estiment que "ces dispositions s'appliquent, comme pour tout permis de construire, au recours formé par un professionnel mentionné au I de l'article L. 752-17 du code de commerce contre un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale."

L'auteur d'un recours administratif, comme contentieux contre un permis de construire doit donc notifier copie de son recours contre le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale

On ajoutera ici que l'article R. 752-32 du code de commerce évoqué plus haut dispose un mécanisme proche de la notification R. 600-1 aux cas de saisine de la CNAC, énonçant ainsi qu' "A peine d'irrecevabilité de son recours, dans les cinq jours suivant sa présentation à la commission nationale, le requérant, s'il est distinct du demandeur de l'autorisation d'exploitation commerciale, communique son recours à ce dernier soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par tout moyen sécurisé."
 
Sur les effets d'une annulation contentieuse d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale

Sur les effets de l'annulation contentieuse d'un permis de construire par le juge administratif, saisi sur recours d'un commerçant concurrent, le Conseil d'Etat rappelle que celui-ci ne peut régulièrement saisir le juge administratif de conclusions tendant à l'annulation d'un permis valant autorisation d'exploitation commerciale qu'en tant que ce permis tient lieu d'une telle autorisation.

Par suite l'annulation du permis ne pourra être prononcée que dans cette seule mesure. Toutefois, le permis de construire ne pouvant être légalement délivré que si le pétitionnaire dispose d'une autorisation d'urbanisme commercial, le Conseil d'Etat estime qu'une telle annulation fait naturellement obstacle à la réalisation du projet.

Toutefois, un nouvel avis favorable de la commission compétente permettra valablement la délivrance d'un nouveau permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
Le Conseil d'Etat rappelle enfin que sont par ailleurs applicables, comme pour tout permis de construire, les règles de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme permettant le sursis à statuer en attente de régularisation d'un permis de construire.

L'avis du 23 décembre 2016 sera publié au recueil. 

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000033695598&fastReqId=392751334&fastPos=1
 

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