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Les arrêtés interdisant le burkini sur les plages sont illégaux partout… sauf à Sisco

Auteur : Régis CONSTANS
Publié le : 01/02/2017 01 février févr. 02 2017


Pendant l’été 2016, de nombreuses communes littorales avaient eu la tentation de s’opposer à la pratique des bains de mer en burkini.

Cela avait donné lieu à des recours devant plusieurs juridictions administratives à l’encontre d’arrêtés municipaux dont les motifs démontraient la grande créativité de leurs auteurs.

Certains avaient même pris le parti de mettre en avant le risque occasionné par cette tenue… pour la baigneuse elle-même.

En effet, comment justifier de porter atteinte à des libertés fondamentales en l’absence de tout trouble objectif à l’ordre public ?

A la fin de l’été, ces contentieux étant remontés jusqu’au juge des référés du Conseil d’Etat, des règles simples et de bon sens ont été rappelées. Le Conseil d’Etat a jugé que : « si le maire est chargé par [les dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales] du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ».

Faisant application du principe posé, le Conseil d’Etat avait indiqué : « Il ne résulte pas de l'instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. S’il a été fait état au cours de l’audience publique du port sur les plages de la commune de tenues de la nature de celles que l’article 4.3 de l’arrêté litigieux entend prohiber, aucun élément produit devant le juge des référés ne permet de retenir que de tels risques en auraient résulté. En l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée. Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle» (CE, ord., 26 août 2016, n° 402742).

Les juridictions du fond vont donc maintenant devoir se prononcer.
 
Dans ce cadre, le tribunal administratif de Bastia, le 26 janvier 2017, a examiné la légalité de deux arrêtés ayant le même objet et pris par deux communes différentes. Faisant application des critères posés par le Conseil d’Etat, il a adopté deux solutions diamétralement opposées.
 
Parmi les communes concernées par ce jugement, figurait  Sisco, une petite commune corse qui avait connu des évènements très médiatisés au cours de l’été 2016. En effet, après  une violente altercation survenue le 13 août 2016 entre un groupe de baigneurs et une quarantaine d’habitants de Sisco, qui avait imposé une intervention des forces de l’ordre, le maire de cette commune avait pris un arrêté interdisant l’accès à la plage et à la baignade aux femmes revêtues d’un burkini.
 
Saisi par la Ligue des droits de l’homme, le juge des référés du tribunal administratif avait refusé de suspendre cet arrêté. Parallèlement le maire de Ghisonaccia avait pris un même arrêté dont la Ligue des droits de l’homme avait également demandé l’annulation.
 
Jugeant ces affaires au fond, le tribunal confirme la légalité de l’arrêté du maire de Sisco mais annule l’autre arrêté en appliquant les principes dégagés par le Conseil d’Etat.
 
Le Tribunal administratif rappelle « qu’une violente altercation, ayant abouti notamment à des hospitalisations et à l’incendie de trois véhicules, est survenue le 13 août 2016 entre un groupe de baigneurs d’origine maghrébine et une quarantaine d’habitants de la commune de Sisco ; que le lynchage des baigneurs, tant sur la plage qu’à l’hôpital de Bastia, n’a pu être évité que grâce à l’intervention des forces de l’ordre ; que la présence sur la plage de Sisco de femmes portant un costume de bain de la nature de ceux visés par l’arrêté du 16 août 2016 a été perçue comme l’étincelle ayant mis le feu aux poudres ; que ces événements ont eu un tel retentissement et ont suscité une telle émotion dans la commune, que la présence sur une plage de Sisco d’une femme portant un costume de bain de la nature de ceux visés par l’arrêté du 16 août 2016 aurait été de nature à générer des risques avérés d’atteinte à l’ordre public qu’il appartient au maire de prévenir ; que, par suite, si la Ligue des droits de l’Homme soutient à bon droit que l’arrêté du 16 août 2016 porte une atteinte grave à des libertés fondamentales, en particulier celle de pouvoir aller et venir vêtu conformément à ses convictions religieuses, elle n’est pas fondée à soutenir que cet arrêté du maire de Sisco, compte tenu notamment du fait qu’il expirait le 30 septembre 2016, constitue une mesure qui ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des nécessités de l’ordre public ».
 
En revanche, à l’occasion de ce même jugement, le Tribunal a annulé l’arrêté du Maire de Ghisonaccia en considérant « qu’il ressort des pièces du dossier que le maire de Ghisonaccia a pris l’arrêté litigieux pour prévenir les troubles à l’ordre public susceptibles de se produire compte tenu de l’état de« tensions fortes suite aux attentats commis partout dans le monde » ; que, toutefois, si l’arrêté attaqué note que l’apparition de tenues de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse a été signalée et constatée à plusieurs reprises, il ne fait état d’aucun trouble en résultant sur la commune ; que, dans ces conditions, le maire de Ghisonaccia ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade aux personnes portant des tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse ; qu’il suit de là que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête n° 1600980, il y a lieu d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du maire de Ghisonaccia en date du 18 août 2016 » (TA Bastia, 26 janvier 2017, Ligue des droits de l’homme, n° 1600976 et 1600980).
 
Ainsi, si en raison de circonstances particulières survenues sur le territoire de la commune de Sisco, il était justifié que le Maire prenne un arrêté interdisant le port du burkini sur les plages, pendant une durée limitée. En revanche, des considérations générales comme la recrudescence du terrorisme ne permettent pas de justifier d’un trouble à l’ordre public qui permettrait de porter atteinte à des libertés fondamentales sur le territoire de Ghisonaccia.
 

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