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La barbe du fonctionnaire examinée à travers le prisme de la neutralité.

Auteur : Régis CONSTANS
Publié le : 17/01/2018 17 janvier janv. 01 2018


Aujourd’hui, les juridictions administratives sont abreuvées de questions relatives à la notion de neutralité du service public et de la séparation Eglise/Etat.

Cela peut aller de la place des crèches dans l’espace public, au prosélytisme des agents publics etc., mais cette tendance peut même investir des domaines moins attendus, par exemple, la pilosité.

Dans une décision dont il faudra sans doute attendre un peu pour être bien sûr qu’elle sera reprise par d’autres juridictions, la Cour administrative d’appel de Versailles a reconnu que le refus d’un agent public de tailler sa barbe, malgré la confusion possible avec un signe religieux, peut constituer une faute de nature disciplinaire justifiant la prise d’une sanction.

En effet, par un arrêt du 19 décembre 2017, la Cour administrative d’appel de Versailles a estimé :

« 6. Considérant qu’il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci ; que si tout agent public bénéficie de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ; que, dès lors, il appartient à l’autorité administrative compétente de faire cesser toute atteinte constituée par la manifestation par un agent public de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions, résultant notamment du port d’un signe destiné à marquer son appartenance à une religion ;

7. Considérant qu’après s’être présenté au centre hospitalier de Saint-Denis pour y accomplir son stage avec le visage couvert d’une barbe particulièrement imposante, M. A...a été convoqué par la direction de cet hôpital à un premier entretien le 2 octobre 2013, au cours duquel il lui a été demandé de tailler sa barbe afin qu’elle ne puisse pas être perçue par les agents et les usagers du service public comme la manifestation ostentatoire d’une appartenance religieuse incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité du service public ; que cette demande lui a été réitérée les 10 et 14 octobre 2013, sans que M. A...n’y réserve une suite favorable ; que le directeur du centre hospitalier, estimant que ce dernier ne se conformait pas aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, ainsi qu’il y était tenu en vertu de l’article 3 de sa convention de stage, a alors procédé à la résiliation de celle-ci ;

8. Considérant que le port d’une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d’appartenance religieuse en dehors d’éléments justifiant qu’il représente effectivement, dans les circonstances propres à l’espèce, la manifestation d’une revendication ou d’une appartenance religieuse ; qu’en l’espèce, la direction du centre hospitalier, après avoir indiqué à M. A...que sa barbe, très imposante, était perçue par les membres du personnel comme un signe d’appartenance religieuse et que l’environnement multiculturel de l’établissement rendait l’application des principes de neutralité et de laïcité du service public d’autant plus importante, lui a demandé de tailler sa barbe afin qu’elle ne soit plus de nature à manifester, de façon ostentatoire, une appartenance religieuse ; que les demandes formulées par le centre hospitalier auprès de M. A...étaient justifiées par la nécessité d’assurer, par l’ensemble du personnel, le respect de leurs obligations en matière de neutralité religieuse ; qu’en réponse à ces demandes, M. A...s’est borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s’est accompagné d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service ; qu’un tel manquement était de nature à justifier une mesure disciplinaire ; que, par suite, la sanction de résiliation de la convention qui lui a été infligée n’était pas disproportionnée mais légalement justifiée par les faits ainsi relevés à son encontre » (CAA Versailles, 19 décembre 2017, n° 15VE03582).

Ainsi, la situation paradoxale à laquelle l’on arrive est que, pour être fautif, le signe d’appartenance religieuse n’a pas à être revendiqué par l’intéressé, mais simplement fantasmé par les usagers du service public ou les collègues.

En substance, à suivre cette jurisprudence à la lettre, il existerait une incompatibilité avec le service public pour un agent qui serait à la fois d’origine maghrébine et aurait cédé à la mode de la barbe fournie en vogue chez les hipsters.

Cette conception de la neutralité apparaît par trop intrusive.
 
 

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